Chronique n° 112 : art de la dégustation : La bouche avant le nez

Millésime 2010 : qu'est-ce qui nous attend ? Montrose 2010, Clos Manou 2010, Nairac 2010 et 2009 Art de la dégustation : La bouche avant le nez L'évolution entre 2006 et 2010 du prix de 90 grands Bordeaux des millésimes 1996 à 2005 Chronique n° 112 (1er mars 2011 ) Millésime 2010 : qu'est-ce qui nous attend ? Tout ce que j'ai goûté des vins rouges de 2010 indique même avant assemblage que le style du millésime diffère des 2009, une année climatique pourtant très ressemblante. Ces deux millésimes partagent une absence de verdeur et de sévérité tannique liée aux très bonnes conditions de maturité du raisin et surtout à la sécheresse qui s’est étalée de juillet à septembre. 2009 offre une abondance de sensations qui confère au baroque. 2010 est, d'entrée de jeu, élégant et plus élancé avec du fond, mais moins de largeur en attaque et milieu de bouche que 2009. C’est un millésime qui présente même le risque de ne pas se faire remarquer en primeur en rapport avec son véritable fond. Au contraire, 2009 d’entrée de jeu plus flatteur présentait et présente toujours en cours d’élevage, un risque de relâchement, à l'instar d'un tissu peu tramé ou d'un costume taillé large. En 2010, ce sont les cabernets sauvignons et francs qui conduisent la dégustation. Et toujours près du corps (pour garder l'image du style de vêtements), avec un grain de tannin raffiné qui se double d'une forte concentration aromatique induite par les particularités climatiques de septembre. En cela, 2010 possède une identité très bordelaise. Mais je n’emploierai pas le mot classique qui sous-entend trop, à cet âge, la présence de tannins carrés. En 2010, il n’y en a pas. Voilà qui définit la réussite. Au contraire, les vins habituellement rustiques pourraient apparaître plus raffinés. Ceux tout en volume risque de se voir élaguer sur les côtés pour mieux se prolonger derrière. Les vins d’habitude mince pourraient connaître un supplément de chair tant la matière peut être au rendez-vous. L’autre point important concerne le caractère sapide de ces vins. A titre d’exemple lors de la présentation de Montrose, j’ai préféré boire le Montrose 2010 avec le délicieux hachis Parmentier préparé par Jean-Pierre Vigato du restaurant Apicius que le Montrose 2000 ! Alors, est-ce une nouvelle gourmandise impossible à cracher ? Et pourtant, ce Montrose 2010 possède une forte concentration tannique (IPT de 85) ; mais quel enrobage ! Ce millésime sera aussi favorable à tous les producteurs qui cherchent et sont dans une logique qualitative ascendante. Certains d’entre eux me disent même que leur 2010 dépasse leur 2009. On verra bien. L’argent aidant les sélections, je m’attends à ce que certains seconds vins franchissent un nouveau cap. Voici pour commencer mes commentaires sur Clos Manou, un outsider, Montrose et Nairac à Sauternes. Du côté des prix c’est l’inconnu, comme toujours à cette époque. J’ai mis en ligne le Carnet n° 61. Il traite de l’évolution entre 2006 et 2010 du prix de 90 grands Bordeaux des millésimes 1996 à 2005. Ils ont beaucoup grimpé ! Voilà qui devrait avoir un impact sur les prix de sortie du nouveau millésime. Mais jusqu'à quel point ? Un rapport indispensable pour anticiper d’un point de vue financier les achats du millésime 2010. Du côté de la manière de goûter les vins en primeur, vous lirez en avant-première un article de mon guide à paraître intitulé « la bouche avant le nez ». MONTROSE 2010……………… 17,5 C'est un grand Montrose à la couleur profonde, au nez fin, subtil et noble. Un nez de premier cru classé ! Et c'est bien cela qui m'a le plus impressionné. La framboise s'y mêle au cassis avec un caractère mûr et frais, rare et difficile à obtenir. Avec un tel nez, je m'attendais à une bouche plus conquérante dans les premiers instants. La puissance, la largeur ne viennent que lentement et surtout en milieu de bouche. Alors il fond, dense et aérien et s'achève sur une des plus belles textures tanniques jamais vues à Montrose depuis le 1996 en primeur, avec plus de maturité et de raffinement. Grande finale où les arômes supplantent le corps. Un délice pour les sens et pour l'esthétique. Ce 2010 est le plus accompli de la nouvelle direction. Très « Delmassien » dans sa volonté de justesse, de précision et d'équilibre, il rappelle la construction de Haut-Brion. Il est aussi le moins discret des millésimes présentés à la même époque. Je suis enthousiasmé par la démarche qualitative de ce cru. Je ne l'ai pas comprise au moment du changement, jugeant la présentation de 2006 et 2007 trop discrète, voire linéaire. Aujourd'hui, la partie viticole est revue de fond en comble, un nouveau chai se met en place. Montrose se positionne lentement mais sûrement, dans un grand respect du temps viticole pour rentrer dans l'élite de la production bordelaise. Ce cru ira très loin. Pour information, je notais le 2009 à 17 l'an dernier au même moment. Assemblage : 53 % cabernet sauvignon, 37 % merlot, 9 % cabernet franc, et 1 % petit verdot. Alcool : 13°8 - IPT : 85 - pH : 3,7 - AT : 3,4 CLOS MANOU 2010……………… 16,25-16,5 C'est un vin coloré, au nez fin, fruité et pur. En bouche, il est bâti différemment conformément à ce millésime, mais aussi à la volonté de Stéphan Dief (moins de saignées, plus petit rendement de 45 hl/ha contre les 53 autorisés, vinification à plus basse température, extraction plus nuancée). Suave à l'attaque, dense, construit en allonge et un peu moins en largeur, il se différencie surtout des millésimes précédents en finale en affichant un des grains de tannin les plus fins que je lui connaisse. Très belle longueur dans un style Pauillac raffiné. Encore un succès avec un caractère délicieux et moins démonstratif. Les plus chanceux le commanderont en magnum où il deviendra brillant. (Le magnum élargit). Assemblage : 40 % merlot, 40 % cabernet sauvignon, 10 % cabernet franc et petit verdot. Alcool : 13°8 - IPT : 82 - pH : 3,35 - AT : 3,35 Sauternes Barsac Ce commentaire de Nairac montre une année 2010 plutôt réussie pour les vins liquoreux. Comme pour les vins rouges, il sera difficile de succéder à un millésime 2009 que je continue de qualifier de « mythique » pour les vins liquoreux. Pour situer l’année, voici les notes attribuées le mois dernier aux quatre derniers millésimes dégustés côte à côte : 2010 (17,25) ; 2009 (19) ; 2008 (16,75-17) ; 2007 (17). Quant au style, 2010 se distingue principalement de 2009 par une richesse en sucre moins importante et ceci à qualité égale de caractère aérien (pour le château Nairac). NAIRAC 2010……………… 17,25 Couleur jaune vert. Nez pur sentant la mousse de chêne typique du botrytis. Entrée en bouche précise et raffinée puis le vin se développe fondant, aérien sur un goût d'ananas, de gingembre et d'épices douces. Il fond encore en finale sur une bonne longueur avec une grande sapidité. Assemblage : 92 % de sémillon, 6 % de sauvignon, 2 % de muscadelle. Alcool : 14° - Sucre résiduel : 135 g/l - pH : 3,8 - Acidité totale : 4,1 - Rendement : 14,10 hl/ha. Ce vin sera élevé dans 50 % de futs neufs. NAIRAC 2009……………… 19 Couleur jaune vert. Nez intense, complexe, profond. Nuances de gingembre, muscade, ananas et anis. Entrée en bouche spectaculaire. Le vin se développe ample, riche sophistiqué, sans lourdeur et très aérien. Complexe et noble, il s'étire sur une finale sèveuse, à la sucrosité remarquablement équilibrée par des nuances épicées. La salivation est si forte qu'il est impossible de le cracher. Très grand vin. Assemblage : 92 % de sémillon, 4 % de sauvignon, 4 % de muscadelle. Alcool :14°- Sucre résiduel :185 g/l - pH : 3,7 - Acidité totale : 4,7 - Rendement 10,5 hl/ha. Ce vin n’a connu que 10 % de futs neufs. ______________________________________ Art de la dégustation : La bouche avant le nez En 1970, l’INAO a mis au point avec l’AFNOR (Association Française de Normalisation) son célèbre verre à dégustation de forme tulipée. Peu à peu, il remplaça chez les professionnels et les particuliers le taste-vin ou le petit verre ballon. Depuis, ce verre a créé un nouveau besoin : renifler et s'exprimer sur le nez du vin. Le vin devenu à la mode et l'imagination des verriers oeuvrant, l’usage du nez connaît une véritable hypertrophie. Qui ne s’est pas senti isolé dans un groupe de dégustation en entendant évoquer l’odeur du cassis, du musc, de l’abricot et même de l’abricot de Californie ? Cela se passe encore dans des lieux de formation réputés auprès de personnes qui ne parviendraient même pas à ranger l’odeur de la rose dans la série florale. Et bien que je sois un dégustateur très sensible aux parfums, aux odeurs, aux arômes, je ne crois pas à la communication sur le vin à travers ce type d’échange, sauf entre spécialistes. Pour les autres, ils relèvent de représentations très personnelles qui font rarement sens. Plus important encore, cet usage hypertrophié du nez ne convient pas à l’appréciation qualitative des vins de Bordeaux, en particulier jeunes. Le monde gustatif du Bordeaux est celui du tannin bien plus que celui des odeurs. Il existe dans un vin de Bordeaux qui a moins de 3 ans une opposition entre l'intensité du nez et la présence de tanin. A cet âge, plus un vin a du nez, moins il possède de corps et vice versa. Or, un grand vin ne peut pas être sans corps. Sinon, il se présente dilué, mince sans pouvoir jamais révéler les atouts de son origine, de son terroir avec le temps. En donnant trop d'importance au nez de nombreux goûteurs risquent un contre sens majeur : préférer à l'aveugle le second vin d'un château à son grand vin; là où le meilleur se trouve; là où les propriétaires portent leur effort maximal. Le grand vin jeune est moins flatteur, plus dense, moins aromatique, plus fermé, plus tannique et moins aisé à situer et comprendre. C'est la raison pour laquelle il ne peut s’apprécier que par la bouche. Par elle s’ouvre la lecture de sensations essentiellement tactiles. Elles informent sans ambages sur la qualité de constitution de tous les vins et de leur potentiel à se révéler avec le temps. De surcroît, les vins de Bordeaux sont vendus en primeur, c’est-à-dire avant même que leur élevage soit terminé, soit douze à seize mois avant leur mise en bouteilles. A ce moment-là, le nez n’est pas en place. Il ne le sera pas avant un minimum de cinq ans de bouteille. Il s’exprimera définitivement entre quinze à vingt ans pour les meilleurs crus. A cet âge, son statut qualitatif ne peut plus être ignoré. Tant et si bien qu’il n’est plus besoin de posséder une méthode de dégustation dont le premier rôle est l’anticipation de ce qui sera révélé. Ainsi et même si cela semble paradoxal, pour savoir goûter les Bordeaux jeunes et décider de les encaver ou pas, je vous recommande de cesser de raisonner en termes de saveurs (odeurs, arômes et saveurs sont liés en dégustation). L’essentiel est de centrer l’attention sur la présence physique du vin dans la bouche. L’expérience prouve que lorsque la bouche est bien en place, le nez suit. Mais alors, comment faire ? La suite est dans le guide Quarin des vins de Bordeaux… La prochaine chronique paraîtra le 15 mars. Bonne lecture. Jean-Marc Quarin ___________________________________________________________________________ © Copyright Cette publication est éditée par Jean-Marc Quarin Sarl, 10 allée de Ginouilhac, BP 40, Le Taillan-Médoc. France. - E-mail : jmquarin@wanadoo.fr. Les médias et les distributeurs de vins peuvent utiliser ces notes à condition de ne pas les déformer et en citant l'origine de leur source : www.quarin.com ainsi que son auteur : Jean-Marc Quarin (JMQ).

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